Ce matin, je suis de mauvaise humeur.

Pas d’une humeur à détruire tout ce qui bouge, non, pas d’une humeur à mépriser ceux que j’aime, non plus. D’une humeur à m’arracher l’intérieur, à courir des heures jusqu’à ce que tout soit si démesurément utilisé en moi, que ça en devienne totalement vide jusqu’à ce que je puisse régénérer l’intérieur de ce corps plein d’une âme si lourde.

Oui j’aime la vie. Oui, je souris à la beauté du monde. Oui, je suis de ces gens qui croient en la bonté, qui font confiance en l’humanité même après les pires déchirures et qui continuera toujours à croire en l’humanité. J’ai recommencé tant de fois, après tant de douleurs, je sais que c’est vrai.

Mais ça fait quelques jours déjà, ça m’a pris, comme ça ou pas, qu’importe. Dans un moment où tout va, même très bien.

Cette lourdeur alors que je m’allège, ce poids sur moi, alors que je m’envole.

Non, la maladie, les tracas, le blabla, non, ça n’est pas tout ça; pas du tout ça.

Plutôt comme une « charge d’âme », pas de celle comprise dans le fabuleux livre, du même nom, de Romain Gary, non: une charge insupportablement lourde de l’âme qui effrite les secondes comme du papier de verre glissé sur une statue de plâtre.  Lentement, avec ce bruit de frottement si familier à ceux qui ont déjà poncé.

Me voilà donc avec ce « je sais trop bien quoi » d’amer à avaler. Pas vivre avec, non, plus justement; c’est ce fameux moment où le processus arrive au bout de la souffrance; l’évacuation. D’abord le gober, puis le digérer et ensuite, enfin, l’évacuer hors de soi et le laisser se transformer en rien; plus rien: plus rien du tout. De ces situations vécues de reconstructions de soi, acides ou âcres, douloureuses ou cruelles, insipides ou fades, qui construisent nos lendemains en libérant notre présent de ce qu’il a vécu, longuement ou épisodiquement à un autre moment; quelques temps, quelques années auparavant.

Larmes de liberté
Coulent sur ma douleur
Entremêlant mon être
Là, sous le saule pleureur
[mon grand-père l’aurait aimé]
Déposer la charge de mon âme
Si longtemps portée
Garder la douceur
Qui s’en est envolée
S’en envelopper
Bercé par ce souffle
Doucement déposer
L’entier de ses pieds
Pas à pas
Le long du sentier 

Non, je n’aime pas ces périodes qui me reconstruisent, parce qu’elles sont douloureusement intenses.

Oui j’aime beaucoup ces périodes qui me reconstruisent parce qu’elles sont douloureusement intenses…

J’y ai repensé est j’ai aimé le film toute la beauté du monde.

Regarder la beauté du monde, pas le film, la beauté elle-même; incarnée dans mes jours s’insufflant dans mes secondes tantôt opales, tantôt charbons.

Oui, je suis de mauvaise humeur intérieure, mais je sais pourquoi. Nos vies se libèrent toutes seules de leurs passés chagrins. J’aime bien ma mauvaise humeur sereine.